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 dans Droit des successions, Verbum Legale

En vertu de l’article 794 du Code civil, le liquidateur est tenu de confectionner un inventaire des biens du défunt.

Pour mieux imager le rôle de l’inventaire, on peut affirmer qu’il constitue une photographie du patrimoine du défunt à la date du décès.

La confection de l’inventaire est tellement importante que le testateur ne peut dispenser le liquidateur de faire inventaire. En effet, une telle clause est réputée non écrite[1]. Le liquidateur ne peut pas non plus s’auto-dispenser. En fait, la dispense de faire inventaire ne pourra être accordée au liquidateur qu’une fois la succession ouverte par les héritiers, ce qui comporte toutefois pour ces derniers certaines conséquences néfastes. [2]

En réalité, l’inventaire sert plusieurs objectifs. D’abord, l’inventaire constitue le point de départ de l’administration du liquidateur, puisqu’il pourra alors connaître le contenu de la saisine qu’il exerce. L’inventaire servira aussi de repère lors de la reddition de compte du liquidateur. Par conséquent, il est primordial d’assurer la plus grande qualité et exactitude possible à l’inventaire.

La confection de l’inventaire successoral est la principale mesure qui permet aux héritiers d’être protégés et de ne pas devoir payer les dettes de la succession au-delà de la valeur des biens qu’ils recueillent.

Tout d’abord, soulignons que le législateur ne fixe aucun délai pour faire l’inventaire[3] et encore moins pour le contester[4].

Le liquidateur n’est toutefois pas contraint à un délai en particulier pour la confection de l’inventaire[5]. En effet, tout en étant en accord avec le fait qu’il est de l’intérêt autant du liquidateur, des légataires, des héritiers et des créanciers de procéder à la détermination du patrimoine successoral du défunt le plus rapidement possible, il demeure qu’il est, dans la majorité des cas, impossible de dresser un inventaire successoral précis dans un délai de six ou huit mois. En effet, il existe plusieurs raisons qui peuvent expliquer pourquoi un liquidateur peut être incapable de produire l’inventaire successoral dans le délai pour opter prévu à l’article 632 C.c.Q.

D’abord, si le défunt était marié ou uni civilement, il faut prendre en considération les délais du droit d’option à l’égard des droits résultant de la liquidation du patrimoine familial et du régime matrimonial. En effet, les demandes relatives au partage du patrimoine familial et de la société d’acquêts peuvent être exercées dans un délai d’un an à compter de l’ouverture du droit. En outre, le créancier alimentaire qui bénéficie de la survie de l’obligation alimentaire a un délai de six mois suivant le décès pour réclamer de la succession une contribution financière à titre d’aliments. Dans ces circonstances, si le créancier d’un droit matrimonial ou alimentaire n’exerce pas son option très rapidement, comment peut-on alors dresser un inventaire exact et complet, tel que l’exige la loi ?

Ajoutons aussi que la liquidation peut prendre beaucoup de temps si elle contient des biens situés à l’étranger. Enfin, dans la grande majorité des cas, il faut tenir compte des longs délais liés à l’accomplissement des formalités fiscales.

Ceci étant dit, nous reconnaissons évidemment que le successible qui n’a pas renoncé à la succession dans le délai prévu ou qui, par négligence, n’a pas demandé au tribunal de remplacer ou de contraindre un liquidateur à agir est présumé avoir accepté la succession, ce qui entraîne la responsabilité ultra vires aux dettes.

Précisons ici que la sanction prévue par l’article 800 C.c.Q., soit l’obligation des héritiers au paiement des dettes de la succession au-delà de la valeur des biens recueillis, ne s’applique pas automatiquement dès l’expiration du délai de huit mois. En fait, à notre avis, la sanction de l’article 800 C.c.Q. s’applique seulement lorsqu’on la demande et que la preuve démontre la réunion des éléments suivants :

a) les héritiers savent que le liquidateur refuse ou néglige de faire inventaire.

b) les héritiers négligent, dans les 60 jours qui suivent l’expiration du délai de délibération de six mois, de procéder eux-mêmes à l’inventaire ou, encore, de demander au tribunal de remplacer le liquidateur ou de lui enjoindre de procéder à l’inventaire [voir aussi les art. 791 et 792 C.c.Q.].

Ainsi, pour que cette sanction s’applique, il faut démontrer la négligence du liquidateur ainsi que celle des héritiers. Il s’agit ici d’une négligence qui s’apparente à de la mauvaise foi, et non à un liquidateur ou à des successibles qui ne sont pas en mesure d’obtenir toutes les informations requises pour dresser un inventaire complet.

Par ailleurs, en pratique, si le liquidateur agit avec diligence, mais qu’il n’est pas en mesure d’obtenir tous les renseignements requis dans le délai de six mois, nous estimons qu’il devrait alors aviser par écrit toutes les parties concernées du retard et des causes l’empêchant de finaliser son inventaire. Il pourra les informer des renseignements qu’il possède actuellement et de ceux qui lui manquent pour terminer de dresser un inventaire complet. Ceci démontrera que le liquidateur n’est pas négligent et qu’il ne refuse pas de dresser l’inventaire : les héritiers n’auront donc pas à exercer une action contre lui pour éviter d’être eux-mêmes sanctionnés par l’article 800 C.c.Q. Nous estimons que le liquidateur qui fournit aux héritiers tous les renseignements et documents pertinents et qui agit avec prudence et honnêteté ne devrait pas être sanctionné pour son défaut de produire un inventaire[6].

De plus, contrairement au délai d’option qui peut être prolongé[7], le législateur n’a prévu aucune disposition qui permet au liquidateur de demander une prolongation de délai pour faire inventaire, ce qui semble logique, puisque le liquidateur n’a fixé aucun délai pour le confectionner. Ainsi, il est inutile, pour les héritiers et le liquidateur, de demander au tribunal une prolongation de délai pour faire l’inventaire[8].

Nous réitérons donc que le véritable délai du liquidateur pour effectuer l’inventaire est de le faire avec diligence. Comme l’exprime Marc-André Lamontagne, « le liquidateur dispose d’autant de jours qu’il est nécessaire pour mener à bien la confection de l’inventaire. Ce délai pourra sans contredit excéder les six mois et soixante jours additionnels. Ce que la loi sanctionne, c’est le refus ou la négligence »[9].

Résumé

Le liquidateur diligent doit produire son inventaire le plus rapidement possible, mais uniquement lorsqu’il « aura eu le temps requis pour bien analyser et comprendre ce qui fait partie de l’actif et du passif de la succession »[10], et ce, même si cela signifie que sa confection prenne plus de six mois.

[1] À titre d’illustration jurisprudentielle, voir B. (J.-B.) c. B. (L.), EYB 2004-60287 (C.S.). En doctrine, voir Christine MORIN, Les testaments notariés, 2e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2015, nos 242 et 243, p. 107.

[2] Art. 799 C.c.Q.

[3] Voir, notamment, Groupe financier Contant Inc. c. Fortin, REJB 2002-30112, J.E. 2002-570 (C.S.), par. 33.

[4] Voir Ravenelle c. Caisse Desjardins de Sainte-Foy, REJB 2001-22185, [2001] R.D.F.Q. 74 (C.S.), par. 16.

[5] Voir aussi Michel BEAUCHAMP, La liquidation des successions, Montréal, Wilson & Lafleur, 2015, no 535; BEAUCHAMP, « Chronique – L’inventaire successoral », dans Repères, juin 2014, La référence, EYB2014REP1551.

[6] Michel BEAUCHAMP, La liquidation des successions, Montréal, Wilson & Lafleur, 2015, no 540; Michel BEAUCHAMP, « Chronique – L’inventaire successoral », dans Repères, juin 2014, La référence, EYB2014REP1551. Voir aussi Cormier c. Dazé, ès qualités “Liquidateur à la succession Bujold-Cormier”, REJB 2001-23534, J.E. 2001-643 (C.S.), par. 108 et 109 (appel rejeté sur requête, C.A. Montréal, 500-09-010746-014, 28 mai 2001).

[7] Selon l’art. 633 C.c.Q., « [l]e successible qui connaît sa qualité et ne renonce pas dans le délai de délibération est présumé avoir accepté, sauf prolongation du délai par le tribunal. Celui qui ignorait sa qualité peut être contraint d’opter dans le délai fixé par le tribunal.
Le successible qui n’opte pas dans le délai imparti par le tribunal est présumé avoir renoncé. »

[8] Voir néanmoins Bisaillon (Succession de) c. Québec (Sous-ministre du Revenu), B.E. 2003BE-333, EYB 2003-37046 (C.S.), par. 7 à 10. Dans cette affaire, le tribunal proroge de six mois le délai dont dispose les demandeurs pour dresser l’inventaire de la succession du défunt, et ce, en suivant le raisonnement suivant : « Considérant que la loi ne prévoit aucun délai spécifique pour effectuer un inventaire; le délai pour faire un inventaire est fonction du délai dont bénéficient les héritiers pour exercer l’option prévue à l’article 632 C.c.Q. Or, l’article 633 C.c.Q. autorise les héritiers à obtenir, selon les circonstances, une autorisation judiciaire prolongeant ce délai.
Considérant l’article 640, lequel crée une présomption d’acceptation de la succession, mais n’empêche pas, contrairement aux prétentions du Sous-ministre du revenu du Québec, la prolongation d’un délai pour exercer l’option.
Considérant, à tout évènement, l’absence de preuve de négligence des héritiers ;
Le tribunal conclut qu’il y a lieu dans les circonstances de proroger le délai pour dresser l’inventaire de la succession ».

[9] Marc-André LAMONTAGNE, « Liquidation de succession : trucs et attrapes », dans Fiducies personnelles et successions (2003), vol. 186, Service de la formation permanente du Barreau du Québec, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2003, EYB2003DEV340 [« Un liquidateur qui, par exemple, n’est pas en mesure d’obtenir tous les renseignements requis pour dresser l’inventaire ne pourra pas se voir reprocher un refus ni une négligence et, par le fait même, le successible non plus »]; Marc-André LAMONTAGNE et Geneviève COUPAL, « Autopsie, à deux têtes et à quatre mains, d’une liquidation », (2002) 1 C.P. du N. 57.

[10] Voir Marcotte c. Drouin, AZ-50081751, REJB 2000-22015 (C.Q.), par. 28.

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