par
 dans Droit de la famille, Régimes de protection, Verbum Legale

Dans moins de deux semaines, soit le premier novembre 2022, entrera en vigueur l’importante réforme qui vise à mieux protéger les personnes vulnérables. Aujourd’hui, nous traiterons du mandat de protection[1].

1. Le mandat actuel

Avant de traiter des modifications qui seront apportées au mandat, nous nous permettons de rappeler les grands principes en matière de mandat de protection.

Les articles 2130 à 2185 C.c.Q. traitent du contrat de mandat de façon générale. Ainsi, le mandat est défini généralement comme suit à l’article 2130 C.c.Q. :

Le mandat est le contrat par lequel une personne, le mandant, donne le pouvoir de la représenter dans l’accomplissement d’un acte juridique avec un tiers, à une personne, le mandataire qui, par le fait de son acceptation, s’oblige à l’exercer. Ce pouvoir et, le cas échéant, l’écrit qui le constate, s’appellent aussi procuration.

À la fin des années 1980, le législateur a introduit un type particulier de contrat de mandat, soit le « mandat donné en prévision de l’inaptitude [2]» (désormais appelé, comme nous le verrons ci-dessous, « mandat de protection »). À cet égard, l’article 2131 C.c.Q. prévoit que le mandat peut avoir pour objet, notamment, les actes destinés à assurer, en prévision de l’inaptitude du mandant à prendre soin de lui-même ou à administrer ses biens, la protection de sa personne, l’administration, en tout ou en partie, de son patrimoine et, en général, son bien-être moral et matériel.

Le but de ce type de mandat est de permettre à une personne apte de choisir elle-même, à l’avance, si un jour elle devient inapte, qui s’occupera de sa personne et de l’administration de ses biens et comment ces obligations devront être remplies [3]. Ainsi, le mandant peut déterminer les pouvoirs qu’il veut attribuer à son mandataire. Il s’agit, en quelque sorte, d’un régime de protection privé, lequel permet d’écarter les règles relatives aux régimes de protection des inaptes prévues au Code civil du Québec.

L’article 2166, al. 1 C.c.Q. donne la définition plus précise suivante du contrat de mandat de protection:

Le mandat de protection est celui donné par une personne majeure en prévision de son inaptitude à prendre soin d’elle-même ou à administrer ses biens ; il est fait par acte notarié en minute ou devant témoins.

Le mandat de protection devient exécutoire lorsque les deux conditions suivantes sont rencontrées [4] :

  • le mandant devient subséquemment inapte
  • le tribunal homologue le mandat.

Au stade de l’homologation, même si le tribunal conclut à l’inaptitude du mandant, la demande pourrait être rejetée s’il y constate un vice de fond ou de forme du mandat. La demande pourrait également être rejetée si l’intérêt du mandant le commande.

Outre les dispositions particulières prévues aux articles 2166 à 2174 C.c.Q., les dispositions générales relatives aux mandats, soit les articles 2130 à 2165 et 2175 à 2185 C.c.Q., s’appliquent également au mandat de protection, mais à titre supplétif seulement et en tenant compte des adaptations nécessaires.

Notons aussi que les règles du mandat de protection empruntent aux régimes de protection certaines dispositions, notamment, pour la définition de l’inaptitude et pour les critères devant guider toute décision prise à l’égard du majeur [5].

Les règles de l’administration du bien d’autrui prévues aux articles 1299 et s. C.c.Q. s’appliquent aussi de façon supplétive au mandat de protection, toujours en tenant compte des particularités de ce dernier type de contrat.

Contrairement aux régimes de protection qui font l’objet d’une refonte en profondeur par la loi modifiant le Code civil, le code de procédure civile, la loi sur le curateur public et diverses dispositions en matière de protection des personnes [6], les modifications apportées viennent ajouter des obligations additionnelles pour le mandataire et préciser les balises lors de la prise de décision par le tribunal et le mandataire.

2. Les principales modifications

Nous arrivons maintenant au cœur de cette réforme.

Les principales modifications sont :

  • l’ajout de dispositions concernant le respect du mandant et son autonomie,
  • l’indication dans le mandat du nom de la personne qui recevra le compte du mandataire,
  • l’obligation pour le mandataire de faire l’inventaire,
  • et finalement l’ajout du mandat de protection dans plusieurs dispositions du code.

A) Le respect du mandat et son autonomie

Comme en matière de tutelle au majeur [7], lors de l’homologation du mandat, le tribunal devra prendre toutes ses décisions dans l’intérêt du mandant, le respect de ses droits et la sauvegarde de son autonomie. Il en est de même pour le mandataire dans le cours de son administration. Le tribunal et le mandataire devront, dans la mesure du possible, tenir compte des volontés du mandant [8]. S’ajoute à ces obligations, celle d’assurer le bien-être moral et matériel du mandant. Il est également précisé que le mandataire doit tenir compte des besoins et des facultés du mandant. Il doit informer le mandant, lorsque requis, de toute décision prise et le faire participer aux décisions [9]. Finalement, le mandataire devra maintenir une relation personnelle avec le mandant.

Ces ajouts démontrent et viennent réaffirmer l’importance de la personne lors de l’homologation d’un mandat de protection.

B) L’obligation de faire inventaire et de rendre compte

L’inventaire et la reddition de compte sont des mesures de protection nécessaires. Ces dernières assurent la bonne administration du mandataire et permettent de protéger le mandant d’abus ou de dilapidation de ses biens. Ces mesures existent déjà dans les règles de l’administration du bien d’autrui [10]. Comme le mandataire est un administrateur du bien d’autrui [11],  ces règles lui ont toujours été applicables et le demeurent.

Cependant, en pratique, il était fréquent de voir des mandats de protection dans lesquels le mandant dispensait le mandataire de ces deux obligations. Le mandant, par cette dispense, renonçait aux mesures de protection prévues par la loi. Dans les dernières années, plusieurs affaires ont fait les manchettes et les tribunaux ont souvent été sollicités pour intervenir dans les cas de comportements d’un mandataire contraire aux intérêts du mandant. Ce sont les raisons pour lesquelles le législateur a décidé d’obliger l’inventaire et la reddition de compte.

L’article 2166.1 [12] du Code civil prévoit que le mandat doit impérativement contenir l’indication de la personne à qui le mandataire devra rendre compte de sa gestion et à quelle fréquence. Il est important de souligner qu’actuellement, le mandataire a l’obligation de rendre compte, sauf si le mandant l’a expressément dispensé à l’intérieur du mandat. Comme le mandant est inapte, la reddition de compte que le mandataire pouvait lui remettre n’assurait pas sa protection, vu son inaptitude. De ce fait, le législateur n’a eu qu’à ajouter l’obligation pour le mandant d’inclure l’indication de la personne qui recevra le compte pour rendre obligatoire la reddition de compte par le mandataire. Il sera dorénavant impossible de dispenser cette reddition de compte, les règles du mandat de protection étant d’ordre public, on ne peut y déroger.

Bien que l’ajout de cette mesure ait été accueilli favorablement, elle ne sera pas sans causer de désagréments à certaines personnes. On n’a qu’à penser aux personnes conjointes depuis de nombreuses années. De plus, nous croyons qu’il sera de plus en plus difficile de trouver des personnes pour recevoir le compte, étant donné la grande responsabilité qui vient avec ce rôle. À titre d’exemple, la personne qui reçoit le compte devra s’assurer que le mandataire administre les biens du mandant dans son intérêt. La personne qui recevra le compte ne pourra pas être complaisante envers le mandataire. Il faut noter que le mandataire devra rendre un compte final de sa gestion et de son administration au liquidateur de la succession du mandant, à son décès. Si le liquidateur ne se satisfait pas du compte final ou découvre certaines irrégularités, il se tournera vraisemblablement vers la personne qui recevait le compte. Il sera intéressant de voir l’évolution jurisprudentielle sur cette question.

À défaut d’indication dans le mandat, nous croyons que le mandat ne sera pas invalide, car le législateur a prévu que, dans ce cas, le tribunal peut désigner une personne qui le recevra ou le curateur public. Le mandant pourra également désigner le curateur public pour recevoir le compte.

Finalement, le mandat pourra prévoir la forme et la fréquence de la reddition de compte. Cette fréquence ne devra pas excéder trois ans [13].

Afin de rendre l’inventaire obligatoire, le législateur a ajouté au Code civil l’article 2167.4. Cet article, qui oblige l’inventaire, prévoit également un délai pour faire l’inventaire et en transmettre une copie à la personne désignée dans le mandat pour recevoir le compte. La forme et les modalités de l’inventaire pourront être prévues dans le mandat. À défaut, ce seront les règles de l’inventaire, au chapitre de l’administration du bien d’autrui, qui s’appliqueront [14].

C) Ajout du mandat de protection dans plusieurs dispositions

Plusieurs articles du Code civil ont été modifiés afin de retirer le mot curatelle ou curateur et conseiller au majeur. Il y a deux modifications que nous croyons nécessaires afin de souligner :

  1. Possibilité pour une personne inapte de tester

Les tribunaux et la doctrine se sont longtemps posés la question, à savoir si les toutes les dispositions des régimes de protection s’appliquaient au mandat ou si on devait revenir aux règles générales. Il n’existe aucune disposition dans le Code civil qui empêche un mandant, même déclaré inapte, de tester. Ce sont donc les règles générales sur la capacité requise pour tester qui s’appliqueront. L’article 709 du code, qui prévoit cette possibilité pour un majeur sous tutelle de faire un testament, a été modifié, afin d’ajouter également cette même possibilité pour la personne inapte qui a signé un mandat de protection.

  1. Possibilité de renoncer à une succession

L’article 638 du Code civil prévoit que le majeur inapte pourvu d’un régime est réputé avoir accepté la succession sauf renonciation par le tuteur sur avis du conseil de tutelle et qu’il ne sera pas responsable des dettes du défunt au-delà de la valeur des biens recueillis. Pour ce qui est du mandat, il n’y a actuellement aucune règle spécifique. L’article 638 du Code a donc été modifié afin d’ajouter la personne sous mandat de protection afin qu’elle puisse bénéficier de la même protection qu’un majeur inapte sous tutelle.

En conclusion

Les changements qui seront en vigueur le 1er novembre 2022 modifieront de façon substantielle la pratique des juristes et autres intervenants en matière de mandat de protection. Évidemment, comme tout changement, ils devront être apprivoisés pour que les objectifs que le législateur s’était donnés se réalisent pleinement. Il sera intéressant des suivre la pratique et surtout les décisions des tribunaux dans le futur concernant ces changements.

Participez à notre midi-causerie Magistrum

Cette rencontre virtuelle et gratuite se tient sur TEAMS. Venez en apprendre un peu plus sur le sujet du mandat de protection, en compagnie de Me Michel Beauchamp, notaire.

Quand? Jeudi 17 novembre 2022, de midi à 13 h. En vous inscrivant, vous y recevrez le lien.

[1] Beauchamp, M. Commentaire sur l’article 2166 C.c.Q. Commentaires sur le Code civil du Québec (DCQ) 2018 EYB2018DCQ450

[2] Voir la Loi sur le curateur public et modifiant le Code civil et d’autres dispositions législatives [L.Q. 1989, c. 54, art. 111 et s. (e.e.v. 15 avril 1990)] qui a introduit les articles 1731.1 et suivants du Code civil du Bas Canada. En 1994, le Code civil du Québec a repris ces dispositions, avec quelques modifications mineures. Pour en savoir davantage à ce sujet, voir Michel BEAUCHAMP, avec la collaboration de Cindy GILBERT, Tutelle, curatelle et mandat de protection, Montréal, Éditions Yvon Blais, 2014, p. 333 et s., EYB2014TCM52 ; Lucie LAFLAMME, Robert P. KOURI et Suzanne PHILIPS-NOOTENS, Le mandat donné en prévision de l’inaptitude – De l’expression de la volonté à sa mise en oeuvre, Montréal, Éditions Yvon Blais, 2008, EYB2008MDI2 ; Jean LAMBERT, « La genèse du mandat de protection et quelques autres considérations », dans Les mandats en cas d’inaptitude : une panacée ?, Service de la formation permanente du Barreau du Québec, vol. 146, Montréal, Éditions Yvon Blais, 2001, EYB2001DEV213 ; Monique OUELLETTE, « La Loi sur le curateur public et la protection des incapables », (1989) 3 C.P. du N. 1, 37

[3] Michel BEAUCHAMP, avec la collaboration de Cindy GILBERT, Tutelle, curatelle et mandat de protection, Montréal, Éditions Yvon Blais, 2014.

[4] art. 2166, al. 2 C.c.Q – [5] art. 257 C.c.Q. – [6] L.Q., 2020 c.11 – [7] art. 257 C.c.Q. – [8] art. 2167.2 C.c.Q. – [9] art. 2167.3 C.c.Q. – [10] art. 1326 et 1363 C.c.Q.

[11] Beauchamp, M. Commentaire sur l’article 2166 C.c.Q. Commentaires sur le Code civil du Québec (DCQ) 2018 EYB2018DCQ450 et Madeleine CANTIN CUMYN et Michelle CUMYN, L’administration du bien d’autrui, coll. Traité de droit civil, Centre Paul-André Crépeau de recherche en droit privé et comparé, 2e éd., Montréal, Éditions Yvon Blais, 2014.

[12] En vigueur au 1er novembre 2022. – [13] Art. 2166.1 C.c.Q. – [14] Art. 1326 à 1329 C.c.Q.

0