par
 dans Droit de la famille, Régimes de protection, Verbum Legale

Dans moins de trois mois, soit le premier novembre 2022, entrera en vigueur l’importante réforme qui vise à mieux protéger les personnes vulnérables. Aujourd’hui, nous traiterons de la protection des majeurs, plus précisément de la tutelle au majeur, un seul et même régime, à partir de cette date.

1. L’abolition des régimes de curatelle et de conseiller au majeur

L’article 5 de la loi modifiant le Code civil, le code de procédure civile, la loi sur le curateur public et diverses dispositions en matière de protection des personnes vient modifier le libellé de l’article 154 C.c.Q. en éliminant la restriction de la capacité du majeur fondée sur l’ouverture d’un des régimes de protection possibles dans le droit actuel. En effet, la capacité du majeur ne pourra être limitée que par l’effet de la loi, ou encore par un jugement prononçant l’ouverture d’une tutelle au majeur, homologuant un mandat de protection ou autorisant la représentation temporaire d’un majeur capable.

On comprend donc que le libellé de l’article 5 entraîne la suppression de la curatelle et du conseiller au majeur puisque ces deux régimes de protection du droit actuel ne font pas partie de l’énumération exhaustive que propose le législateur au nouvel article 154 C.c.Q.

Parmi toutes les modifications prévues par la loi, celle-ci s’avère un des plus gros changements apportés à notre droit en matière de protection des personnes. De fait, les articles 281 à 284 C.c.Q. sur la curatelle sont abrogés, de même que les articles 291 à 294 C.c.Q. pour le conseiller au majeur. Comme nous le verrons plus loin, le législateur a choisi de mettre en place un seul mécanisme de protection afin de pouvoir préserver au maximum l’autonomie des personnes vulnérables et ainsi mieux les protéger.

Nous tenons à souligner qu’une des conséquences directes de l’abolition de la curatelle est la disparition de la pleine administration pour le curateur. En effet, l’abrogation de ce régime de protection, et plus précisément de l’article 282 C.c.Q., renvoi à la simple administration que détient le tuteur au majeur. Une telle modification vient garantir une meilleure protection des personnes vulnérables, puisque le tuteur devra inévitablement s’adresser au tribunal avant de poser des actes relevant normalement de la pleine administration, ce qui évidemment diminue le risque de dérive de la part de la personne qui a la charge des biens d’une personne vulnérable.

2. Une mesure adaptée au majeur (la tutelle modulée)

La nouvelle mouture de l’article 288 du Code civil prévoit expressément que le tribunal détermine à l’ouverture de la tutelle si les règles concernant la capacité du majeur doivent être modifiées ou précisées. Le tribunal devra prendre en considération les rapports d’évaluation médicale et psychosociale et l’avis du conseil de tutelle, s’il y a lieu. Les articles 286 à 289 du Code civil prévoient les règles générales applicables à la tutelle au majeur. Lors d’une demande d’ouverture d’une tutelle, le tribunal devra déterminer si les règles générales devront être modifiées. À titre d’exemple, le tribunal pourrait retirer au majeur la gestion des fruits de son travail (art. 289 C.c.Q.).

Ce changement, qui semble à première vue mineur, démontre l’importance que le législateur accorde à la personnalisation de la mesure de protection de tutelle. Cependant, il reste à voir comment, en pratique, le tribunal interprétera cette disposition ainsi que les balises qui seront mises en place pour le guider dans sa décision.

3. La réduction du nombre de personnes à convoquer à l’assemblée de parents, d’alliés ou d’amis

L’article 29 de loi remplace l’article 267 C.c.Q.

Suivant les dispositions législatives actuelles, lorsque les personnes qui doivent obligatoirement être convoquées à une assemblée de parents, d’alliés ou d’amis ne peuvent être en nombre suffisant pour former le quorum requis de cinq personnes, il est possible de convoquer les autres parents du majeur, ou encore des alliés ou des amis.

Cela dit, la pratique démontre qu’il est parfois ardu d’obtenir du demandeur les noms de cinq personnes à convoquer, notamment lorsque la personne concernée par la procédure est un aîné ayant un réseau social plus restreint, soit en raison de son âge ou de la maladie. Or, actuellement, le tribunal peut dispenser le demandeur de la tenue de l’assemblée de parents, d’alliés ou d’amis, mais pour ce faire, il doit d’abord démontrer qu’il a fait tous les efforts nécessaires pour réunir l’assemblée, mais que ces efforts ont été vains.

Ainsi, en pratique, sur la preuve que la famille d’un majeur inapte n’est composée que de deux ou trois personnes et qu’il est, en conséquence, impossible de convoquer cinq personnes à l’assemblée de parents, d’alliés ou d’amis, le tribunal pourra, dorénavant, autoriser la tenue de telle assemblée avec ce nombre de personnes. De fait, la modification apportée par la loi tend à simplifier les procédures applicables en cette matière, dans le but avoué de favoriser l’engagement des proches d’un majeur inapte auprès de cette personne.

Notons toutefois que le seul éloignement des membres de la famille ne constituerait pas, selon nous, un motif suffisant pour que le tribunal réduise le nombre de personnes à convoquer, d’autant plus qu’il est maintenant possible de réunir telle assemblée à l’aide de différents moyens technologiques, tels que la conférence téléphonique ou la vidéoconférence.

4. La clarification sur le rapport

Le deuxième de l’article 270 C.c.Q. est modifié en venant préciser que le rapport transmis par le directeur général d’un établissement au curateur public lorsqu’un majeur a besoin d’être assisté ou représenté dans l’exercice de ses droits civils est constitué, entre autres, des évaluations médicales et psychosociales de ceux qui ont examiné le majeur. Rappelons en effet que cet alinéa se lit actuellement comme suit : « Le rapport est constitué, entre autres, de l’évaluation médicale et psychosociale de celui qui a examiné le majeur […] », ce qui pouvait laisser penser qu’il ne s’agissait que d’une seule évaluation comprenant deux éléments. Aux termes de la modification, il n’y aura plus de doute possible : deux expertises sont bel et bien requises, soit une évaluation médicale ainsi qu’une évaluation psychosociale.

5. La modification du délai de révision

L’article 278 du Code actuellement en vigueur oblige la réévaluation de tout régime de protection « à moins que le tribunal ne fixe un délai plus court, tous les trois ans s’il s’agit d’un cas de tutelle ou s’il y a eu nomination d’un conseiller, ou tous les cinq ans en cas de curatelle. Le curateur, le tuteur ou le conseiller du majeur est tenu de veiller à ce que le majeur soit soumis à des évaluations médicale et psychosociale en temps voulu ».

En pratique, il n’est pas rare de se retrouver face à la problématique de l’obligation de procéder à la révision d’un régime de protection ouvert au bénéfice d’un majeur qui souffre du même handicap depuis sa naissance. Pensons notamment aux personnes atteintes d’autisme sévère ou encore d’un autre type de déficience intellectuelle. Or, il est fréquent d’avoir à attendre plusieurs mois pour obtenir les expertises médicale et psychosociale ; l’obtention des expertises médicale et psychosociale peut s’avérer être une démarche lourde et complexe.

Le nouvel article 278 prévoit qu’on peut réviser périodiquement un régime de protection et c’est lors de l’ouverture du régime que les modalités de la révision seront déterminées tant et aussi longtemps que le délai de révision n’excède pas cinq ans ou dix ans lorsqu’il est manifeste que la situation du majeur demeurera inchangée. La fréquence des réévaluations sera donc plus espacée, ce qui amenuisera alors cette lourdeur aux familles.

Ainsi, dans les cas mentionnés précédemment, comme le cas d’un majeur souffrant d’une maladie neurodégénérative, il serait possible de demander au tribunal de déterminer le délai applicable aux premières réévaluations (par exemple, dans dix ans), et ce dernier statuera sur la base des recommandations effectuées dans les évaluations médicale et psychosociale versées au dossier de la Cour.

6. La possibilité de nommer deux tuteurs à la personne

L’article 268.1 du Code civil qui entrera en vigueur le premier novembre prévoit qu’il sera possible de désigner deux tuteurs à la personne lorsqu’il s’agit des parents du majeur inapte. Présentement, il est impossible de désigner deux tuteurs à la personne. Cette modification a pour but de maintenir l’implication des deux parents dans le bien-être de leur enfant inapte, même au-delà de sa majorité.

En conclusion

Les changements qui seront en vigueur modifieront de façon substantielle la pratique des juristes et autres intervenants. Évidemment, comme tout changement, ils devront être apprivoisés pour que les objectifs que le législateur s’était donnés se réalisent pleinement.

[1] L.Q., 2020 c.11

Participez à notre midi-causerie Magistrum

Cette rencontre virtuelle et gratuite se tient sur TEAMS. Venez en apprendre un peu plus sur le sujet de l’assistant, en compagnie de Me Michel Beauchamp, notaire.

Quand? Jeudi 15 septembre 2022, de midi à 13 h. En vous inscrivant, vous y recevrez le lien.

0