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 dans Droit des successions

Frédérique vient d’apprendre que sa tante est décédée. Comme ses parents et les autres successibles sont prédécédés, Frédérique est la seule appelée à la succession de sa tante.

Sa tante a toujours eu une vie passionnante : voyages, séjours dans de grands hôtels, restaurants, voitures de luxe, condo au centre-ville, maison à la campagne. La vie d’une jet-set, quoi! Il faut dire que la tante de Frédérique a eu pendant de nombreuses années une entreprise prospère de vente de fleurs coupées, dans plusieurs marchés publics, en plus de l’exploitation de serres.

Frédérique s’empresse de commencer la liquidation de la succession de sa tante : elle transfère l’auto de luxe à son nom; elle vire dans son compte personnel une partie des placements de sa tante, elle vend plusieurs biens meubles. Enfin, elle aura la liquidité nécessaire pour ouvrir sa boite de communication!

Une bonne amie lui suggère d’être prudente et de consulter avant de poursuivre dans la liquidation de la succession. Pourquoi? se dit Frédérique! Sa tante n’avait pas de dettes, avait beaucoup d’actifs et le solde de ses cartes de crédit étaient à zéro.

Quelques semaines plus tard, Frédérique reçoit une lettre de l’Agence du revenu du Canada qui réclame 150 000 $ pour des impôts impayés et exige la production des déclarations fiscales des trois dernières années.

Frédérique est sous le choc! Elle se dit que ce n’est pas grave, elle n’aura qu’à vendre la maison de campagne ou le condo du centre-ville. Après quelques recherches, la vérité éclate : le condo et la maison de campagne sont hypothéqués au maximum. Il y a même un préavis d’exercice de publié contre le condo au centre-ville. Bref, la succession se dirige vers l’insolvabilité.

Frédérique consulte une notaire pour renoncer à la succession. Cette dernière l’informe qu’elle a accepté la succession et qu’elle ne peut plus renoncer. Pourtant, elle est bien dans les délais de 6 mois pour renoncer…

Cette situation est fréquente en pratique. Très souvent, et même sans en être pleinement conscients, les successibles font des gestes qui conduisent à l’acceptation d’une succession. Quels sont les concepts juridiques associés à l’acception d’une succession?

Acceptation expresse ou acceptation tacite

Le Code civil du Québec (ci-après C.c.Q.) prévoit les situations par lesquelles un successible devient un héritier : soit par l’acceptation expresse ou par l’acceptation tacite[1].

L’acceptation expresse

Le successible posant un geste qui démontre nécessairement son intention d’accepter la succession est considéré avoir accepté tacitement la succession[2].

L’article 637 du C.c.Q. ne contient aucune précision relativement à la forme que doit prendre l’acceptation expresse. Celle-ci peut donc être verbale ou contenue dans un écrit. Il n’est donc pas nécessaire de rédiger un acte formel d’acceptation.

L’acceptation tacite

Parmi les gestes d’acceptation tacite, mentionnons, notamment[3] :

  • l’appropriation des biens de la succession par un successible à son seul bénéfice;
  • le fait, pour le successible, de continuer à habiter la maison qui appartenait à ses parents décédés, à agir à l’égard de cette maison comme s’il en était le propriétaire, et ce, même si aucun transfert de propriété n’a eu lieu lors du décès de ses parents, et à racheter cette maison pour lui-même lorsqu’elle fut mise en vente pour non-paiement de taxes municipales[4];
  • le fait de prendre possession d’un immeuble de la succession, de le démolir et de faire reconstruire un immeuble sur ce terrain ;
  • le fait de procéder à des réparations ou à des rénovations sur un immeuble ;
  • l’aliénation par le successible des biens du défunt[5], autres que des biens susceptibles de dépérir ou de se déprécier rapidement, ou qui sont dispendieux à conserver[6];
  • la cession par un successible, à titre onéreux ou à titre gratuit, de ses droits successoraux[7];
  • l’acceptation des colégataires universels de la promesse d’achat présentée par un tiers afin de céder à ce dernier un immeuble aux termes d’une déclaration de transmission à intervenir, et ce, en contrepartie d’une somme de 300 000 $[8];
  • la participation du successible à une action en partage;
  • la réclamation, par un successible, d’une somme d’argent à laquelle il ne peut avoir droit qu’en sa qualité d’héritier[9];
  • le fait, pour le successible, d’invoquer une clause testamentaire prévoyant l’insaisissabilité[10];
  • le fait qu’il y ait renonciation à la communauté de biens par les successibles de l’épouse[11].

Mentionnons qu’à moins d’une disposition testamentaire contraire, la charge de liquidateur incombe de plein droit aux héritiers[12]. L’article 785 du C.c.Q. prévoit, toutefois, que ces derniers peuvent désigner, à la majorité, un liquidateur et pourvoir au mode de son remplacement. Les héritiers qui peuvent participer à la prise de décision quant à la nomination d’un liquidateur en vertu de l’article 785 du C.c.Q. sont les successibles qui ont accepté expressément ou tacitement la succession ab intestat, leurs legs universels ou leurs legs à titre universel. Par conséquent, la participation à une telle désignation emporte acceptation de la succession avec les conséquences qui en découlent.

Par ailleurs, les gestes suivants ne constituent pas des actes d’acceptation tacite :

  • les actes purement conservatoires, de surveillance et d’administration provisoire;
  • la répartition de certains objets personnels du défunt[13];
  • l’aliénation ou la distribution des biens successoraux susceptibles de dépérissement, dispendieux à conserver ou susceptibles de se déprécier rapidement[14];
  • le seul fait, pour un successible, de se qualifier lui-même d’héritier dans un acte ou dans une procédure, si on n’y retrouve pas aussi clairement la notion d’intention d’accepter[15];
  • l’acceptation du produit d’une assurance-vie payable à un bénéficiaire désigné[16];
  • la réception d’un montant d’une prestation de décès, d’une rente de conjoint survivant ou d’orphelin par un bénéficiaire[17].

Comme nous pouvons le constater dans l’exemple soumis, en matière successorale, les gestes que peut accomplir, de bonne foi, un successible, peuvent rapidement conduire à une acceptation de la succession avec toutes les conséquences que l’on connait, entre autres, la responsabilité des dettes de la défunte. Force de constater qu’un successible ne doit donc pas se laisser submerger par la vague d’un éventuel héritage!

1. Pour une étude complète des règles d’acceptation voir : Jacques BEAULNE, Droit des successions, mis à jour par Christine Morin, 5e édition Montréal, Wilson et Lafleur, 2016; Jacques BEAULNE, La liquidation d’une succession, mis à jour par Michel Beauchamp, 2e édition, Montréal, Wilson et Lalfeur, 2016; Michel BEAUCHAMP, L’ouverture, la transmission et la dévolution légale des successions (Art. 613 à 702 C.c.Q.) – Collection Commentaires sur le Code civil du Québec (DCQ), Éditions Yvon Blais inc., 2018.
2. Art. 637 C.c.Q.
3. Voir aussi Québec (Procureur géno éral) c. Gosselin, REJB 2003-42153, (J.E. 2003-1159), par. 88 et 89 (appel accueilli msur un autre point, C.A. Montréal, n 500-09-013507-033, 26 août 2004, REJB 2004-70142).
4. 3102-3682 Québec inc. (Centre funéraire Michel Léveillé) c. Morissette, EYB 2011-198826, 20o11 QCCQ 12980 (C.Q.) ;W. (T.) Estate, Re, EYB 2007-122635, 2007 QCCS 3713 (règlement à l’amiable, C.A. Montréal, n 500-09-018007-070, 23 décembre 2008). Voir aussi Beaucage, Re, REJB 1998-07312, J.E. 98-1664 (C.S.).
5. Par exemple, voir Banque Nationale du Canada c. Corso, EYB 1984-142959, J.E. 84-789 (C.S.).
6. Art. 644 C.c.Q. a contrario.
7. art. 641 et 1779 et s. C.c.Q.
8. London c. Jack Brandt Ltd., EYB 1990-57295, J.E. 90-552 (C.S.).
9. London c. Jack Brandt Ltd., EYB 1990-57295, J.E. 90-552 (C.S.).
10. Brouillette c. Lacroix, [1988] R.D.I. 692 (C.S.), cité dans Monkiewicz c. Monkiewicz, REJB 1994-28815, J.E. 95-101.
11. Toupin c. Boulé, (1903) 9 R. de J. 420 (C.S.).
12. Art. 619, 778 et 785 C.c.Q.].
13. Art. 643 C.c.Q.
14. Art. 644 C.c.Q.
15. St-Germain (Succession de), REJB 2004-55278 (C.S.) [Dans cette affaire, la requête en contestation d’inventaire entreprise par l’un des successibles n’établit pas une acceptation tacite de la part de ce dernier].
16. Art. 2455 C.c.Q.
17. Loi sur le régime des rentes du Québec, RLRQ, c. R-9, art. 146.

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